Derrière Costas, les écrans des terrasses diffusent la deuxième mi-temps. Les Tchèques mènent. Dennis, dix-huit ans vendredi, est venu voir le match. Dimanche, ce sera sa première élection mais il hésite encore : "Peut-être Andarsya, l'extrême  gauche..." On revient vite au foot. Quelques blagues fusent sur l'Olympiakos, la polémique Nasri en France. "Le foot, ça fait voyager. C'est la meilleure chose en ce moment", assure-t-il.
Conversations politiques
De l'autre côté de la rue, les militants de la Nouvelle démocratie aussi parlent euro. La monnaie. Retourner à la drachme les inquiète. Les tracts du parti d'Antonis Samaras jouxtent les gobelets de café frappé et quelques paquets de cigarettes. L'ambiance est détendue mais de l'avis général "les gens sont inquiets, perturbés". Leurs adversaires du KKE, le parti communiste grec, ne disent pas autre chose. "Les gens passent, viennent, prennent des tracts mais ne parlent pas beaucoup", opinent Kalia et les autres, militants depuis des années.
"Les gens se sentent concernés"
Difficile d'échapper aux affiches des partis, placardées dans tout Athènes. Les dernières déclarations des candidats et les tensions économiques font chaque jour la une des journaux. Même Goal, le quotidien sportif, s'y met et titre "On reste dans l'Euro". Chaque jour a son lot de meetings. Mardi, à Kallithéa, réunion publique de Manolis Glezos, figure de la résistance grecque et député de Syriza. Le lendemain, assemblée du Pasok et d'Aube dorée dans la capitale. Vendredi, discours de Samaras place du Parlement.
"Les gens se sentent concernés. Plus qu'avant", assurent deux commerçantes de la rue Adrianou, axe touristique de la capitale. Dans ce quartier d'Athènes, la déprime est générale et la rue pavée, d'où l'on aperçoit l'Acropole, est vidée de ses touristes. "Tu ne peux pas imaginer la différence avec 2011. A cette période de l'année, tu n'aurais jamais pu circuler dans la rue tellement il y avait de monde. Et c'était déjà la crise !"
Un peu plus haut, Stelios, 74 ans, garde la boutique de statuettes-souvenirs de sa femme, journal sous les yeux. Il attend le match du jour. "Qu'est-ce que je peux faire d'autre ?", lance-t-il avant de se reprendre, en latin : "Dum spiro, spero" [Tant que je respire, j'espère]. Les deux jeunes femmes sont beaucoup moins confiantes : "Avec ce qu'on vit maintenant, j'ose même pas imaginer le futur ! A la fin de la saison, la moitié des magasins auront fermé ici. Et nous, si ça continue comme ça, on met la clé sous la porte à l'automne." Sourire de circonstance. "Alors voter pour quelqu'un qui est contre le mémorandum, je dis oui."
Colère et déception
Nombre de Grecs, usés, choisiront Syriza, le parti de gauche radicale, dimanche. C'est ce qu'a décidé Vaguelia, grand-mère dynamique et apprêtée, rouge aux lèvres et glace à la main. "Pourquoi voter Pasok et Nouvelle démocratie ? Ils ont tout détruit. Ils ont coupé nos retraites, les salaires de nos trois enfants ont baissé, le prix des médicaments s'est envolé", s'exclame-t-elle en ouvrant la chemise de son mari pour montrer la cicatrice laissée par une opération du cœur. "Nous sommes très, très déçus. Je ne sais pas ce que va donner Syriza, nous verrons bien, mais moi je veux un changement..."
Yannis et Georgia Tsirimokos, propriétaires d'un commerce de lampes rue Kolokotroni, dans le centre d'Athènes, envisagent le même bulletin. "On sait qu'économiquement ça prendra du temps mais on veut changer de dirigeants. Les autres sont tous pourris", s'indigne le couple, lui sur son tabouret, attendant le client, elle en débardeur délavé, grande et souriante. Dans la rue, beaucoup de magasins ont fermé. "Les gens ne sont pas idiots... C'est pour ça qu'un si petit parti est en train de devenir puissant. Nous votons Syriza car nous voulons plus de justice."
Ils se plaignent du loyer élevé,"700 euros pour 18 m2", de la TVA qui est la même pour tout le monde, des clients qui ne viennent plus. "Mais il y a pire que nous." Dans cette minuscule boutique où plusieurs tableaux de la Vierge ornent le mur du fond, le désespoir n'a pas encore franchi la porte : "Le bonheur est dans les petites choses", souffle Yannis, pensant citer Schopenhauer. "Il a raison". Et dans un sourire qui en dit long, il salue : "Bravo l'Allemand !"
Julie Rasplus, envoyée spéciale à Athènes