7/7/12

La Grèce fait-elle encore partie de l'Union européenne ?

(Les représentants de la Troïka sortant de la résidence du Premier ministre Adonis Samaras le 5 juillet- Petros Giannakouris/AP/SIPA)
Les représentants de la Troïka sortant de la résidence du Premier ministre Adonis Samaras le 5 juillet-
Pour notre blogueur associé Panagioris Grigoriou, le gouvernement grec ne dispose plus que d'un simulacre de pouvoir. La tutelle de la Troïka est désormais totale. A Bruxelles on aurait même décidé de limiter la libre circulation des Grecs au sein de l'Union, par crainte d'immigration massive. Dans le pays, la peur d'un retour à des heures très sombres de l'histoire grecque se fait sentir.

Le nouveau «gouvernement» prendra officiellement «ses» fonctions ce vendredi. Sauf que pour les véritables fonctions du politique, c'est déjà fait ... par d'autres biais. Mercredi 4 juillet, les déclarations de notre administrateur attitré Monsieur Horst Reichenbach, à l'occasion de son passage par certains ministères, ont été reproduites par toutes les chaînes de télévision : «la délégation a donné des indications quant à la politique à suivre et selon les actions possibles par secteur administratif, car notre but commun demeure : la croissance» (je cite de mémoire). Et comme les Troïkans ne trouvent plus tout à fait commodes tous ces innombrables allers-retours entre leurs métropoles du Monopoly polysémique et épuisant de notre méta-civilisation, et la colonie, alors, ils y installeront désormais officiellement et durablement. De toute manière et officieusement, leurs relais étaient déjà opérationnels depuis un moment. 
Donc pour être «sérieusement gouvernés» nous sommes enfin servis. Samaras, Venizélos et Kouvelis (ce dernier de la «Gauche responsable»), feront tout pour sauver au moins certaines apparences. Notre hebdomadaire satyrique To Pontiki, le 5 juillet, se déclare informé du dernier deal en cours : «Kouvelis souhaiterait monnayer l'entrée et l'admission de son parti dans les rouages de ce qu'en Grèce on nomme l'État profond». C'est-à-dire services secrets, administrations au pouvoir décisionnel, gestion souterraine supposée efficace, et que sais-je encore. Dans un jeu de rôles où les ministres de la semaine d'avant et de la dernière pluie, travestissent aux yeux de l'opinion l'intervention des superviseurs Troïkans en«assistance technique», on peut alors se rendre compte combien cet «État profond», ne serait alors qu'une chimère, hantée de surcroît. En tout cas, le spectacle est déjà bien triste. 

Du côté de Bruxelles, les préparatifs s'accélèrent pour la prochaine mise en place d'une sorte de «vice-roi» qui s'installera à Athènes, personnifiant à lui seul, et en les réunifiant, les prérogatives de la Troïka et celles de la Task Force en Grèce. Et les suites sont d'emblée très logiques : création des Zones Économiques Exclusives, inventaire minutieux du patrimoine de l'État (c'est à dire des créanciers), exploitation des ressources énergétiques du pays et sa mise en «valeur» par des structures privées ou semi-privées par une procédure accélerée et incontrôlable par les députés, et enfin le SMIC qui passera à 390 euros net par mois. Voilà pour ce qui a déjà savamment filtré des exigences de la Troïka dans les journaux de cette semaine. 


CORDON SANITAIRE

Les grands médias de la petite Grèce ne s'attardent d'ailleurs plus vraiment sur le manque de représentativité du pays lors du dernier Conseil Européen. La Grèce était pour tout dire inexistante. Son sort était déjà réglé, d'abord le 17 juin, et ensuite par «la diplomatie des Puissances» comme on disait jadis sans s'y tromper. Ces mêmes médias occultent aussi la réalité de ce cordon sanitaire progressivement établi autour de la Grèce, la dissociant semble-t-il de l'autre mauvais sort (mais «gérable et négociable») de l'Italie, de l'Espagne ou du Portugal, pour ce qui est de l'embrasement d'une bonne partie des pays de la zone euro en l'état actuel, fauteur de désordre et instrument de sédition. 


Adonis Samaras s'est surpassé ce dernier temps à rassurer les créanciers, Bruxelles, la classe politique allemande et tous les Saints Troïkans réunis, surtout que le bas peuple s'est illustré dans un vote politiquement pavlovien. Mais rien finalement ne suffira plus jamais. C'est à se demander si le 17 juin grec ne serait pas l'équivalent des Accords de Montoire des années 1940 en France, mais mieux vaut rester prudent avec les fantômes du passé. En tout cas, David Cameron, s'est empressé de préciser que le Gouvernement de Sa Majesté, «étudiera et mettra en place toutes les mesures nécessaires, en cas d'événement majeur en Grèce (faillite), y compris par la fermeture des frontières de la Grande Bretagne aux ressortissants Hellènes, qui désespérés, chercheraient une issue, et un travail ailleurs», par exemple au pays de la City of London et du très prestigieux Libor, à préserver contre tout danger. Les nombreux reportages rapportant les propos du Premier ministre britannique, qui d'ailleurs «de concert avec les autres ministres de l'U.E., étudieraient toutes les voies possibles, dans le but d'entraver la libre circulation des Grecs» à travers l'ensemble de «l'euro-système galactique» (les plans sont déjà prêts), ont obligé nos «gouvernants» à réagir et vivement : David Landsman, l'Ambassadeur du Royaume Uni, a été convoqué au Ministère des Affaires Étrangères, et du haut de son PASOK, Venizélos a fait semblant de rappeler à qui veut l'entendre, «qu'il y a des Traités et des accords qui conditionnent et assurent cette libre circulation». Mais personne ne veut plus l'entendre pauvres bougres, c'est de la géopolitique à l'état de nature, et des rapports de force dont il s'agit, y compris entre les pays et leurs créanciers. 


Ceux qui savent où s'informer ne se font guère d'illusions. La disparition de la libre circulation est programmée par Bruxelles et par les NBS de l'UE (Nations Bancaires Souveraines), au cas par cas, en commençant par les Grecs. In fine, dans un approfondissement alors de l'Union bien paradoxale, en supprimant les derniers amuse-gueules habituellement servis aux peuples, et nous en ignorons les contours exacts ou les probables exceptions culturelles, toujours si âprement négociables parait-il, mais quoi qu'il arrive, l'univers de notre commun naufrage européen changera. Qui s'en émeut vraiment chez les dirigeants de l'Union ? Difficile à dire... 


«LA DOULEUR EMPLIT TOUT L'HORIZON»

Par une chaleur qui frôle les 40°C, les ex-votants de la Grèce ont bien la tête sous l'eau. Celui de la mer lorsqu'ils le peuvent encore, mais d'abord celui de la nouvelle ère qui s'annonce sous l'Empire. Aris, le voisin au village, ne travaillant qu'occasionnellement, s'est décidé à emprunter la route de la mer Égée mercredi, accompagné de sa sœur Dina, chômeuse. Ils ont utilisé la camionnette du patron, aimablement prêtée, car déjà c'est un diesel, et en plus, on y peut charger, parasols, glacières et petites échappatoires d'un seul jour à souhait. Aris a pratiquement immobilisé sa petite sportive allemande, vieille de vingt ans mais en très bon état. En août, il déposera les plaques à la préfecture, ou sinon au plus-tard, avant la fin de l'année. Un de plus. Et même la baignade n'a pas vraiment rempli son cahier de charge : «Nous nous sentions un peu décalés, il y avait peu de monde, des retraités et des touristes des pays de l'Est, 240 kilomètres allers-retours jusqu'à la mer du côté de Larissa, nous ne sommes plus prêts à le faire si souvent, c'est clair»


Ce même mercredi, Evgenia est revenue au village depuis le lointain Berlin. Son fils Thanos s'y est installé depuis plus d'un an. Fatigué du recyclage dans les petits boulots en Thessalie et dans les îles, il s'est décidé au moment où sa fiancée s'est également déclarée prête pour le départ. Tous deux travaillent chez un restaurateur grec de Berlin, un autre enfant du village bien évidemment. Ils gagnent respectivement 900 euros net par mois et leur bébé est gardé par Evgenia, qui a déposé le bilan de l'épicerie qu'elle tenait au village au bout d'un an de Mémorandum. Thanos et Maria, sa fiancée, ont trois semaines de congés, c'est ainsi que la petite famille est revenue en Grèce. Yannis, le mari d'Evgenia, en attente de régularisation de sa retraite, pas encore versée, a également passé l'hiver à Berlin «pour éviter les frais et le chauffage à la maison thessalienne». Du temps de sa jeunesse d'ancien footballeur au niveau local puis menuisier de renom, Yannis n'a pas voulu imiter son frère Thymios et émigrer en RFA, mais c'était dans les années 1970 : «je n'avais jamais imaginé que je devrais émigrer vers l'Allemagne à l'approche de ma retraite, accompagnant de surcroît, mes enfants et mes petits enfants. Les Allemands sont courtois, nous ne connaissons pas des difficultés, et puis, de toute façon notre vie à Berlin se réalise dans un univers clos», raconte Yannis sans pour autant regarder ses interlocuteurs droit dans les yeux. Visiblement il déprime, son honneur est blessé. 


Certains en arrivent invariablement à d'autres solutions plus radicales à travers l'aire néohellénique, un autre univers clos. Dimitri Stathopoulos, avocat, 44 ans, s'est précipité du troisième étage d'un immeuble de la Plaka historique et touristique à Athènes, mercredi vers 11h du matin. Le reportage du quotidien Proto Thema (04/07), rapporte «ce nouveau choc en plein centre de la capitale, au 11 rue d'Apollon». Au département voisin de Trikala, celui de Karditsa, c'est un entrepreneur âgé de 55 ans, qui s'est suicidé le même jour, utilisant son fusil de chasse. Il a été retrouvé mort par son fils dans les locaux de son entreprise. Néanmoins et selon la presse locale, on ignore encore les circonstances exactes ou les motifs de ce suicide. Karditsa serait aussi sous le choc. Ce vendredi, un autre entrepreneur s'est suicidé par pendaison à Kalithéa, au sud d'Athènes. Le quotidien Ethnos, rapporte «ses difficultés insurmontables de ces dernier temps» : «Je ne peux plus continuer ainsi, la situation m'est insupportable, pardon», c'était son dernier SMS envoyé à sa compagne, à 12h33 précise le journal sur son site. 


SOMBRE PROJECTION

Il y aurait un lien évident entre l'affect d'une société et sa projection dans le temps. Il en est ainsi de son institution imaginaire, qui comme pour les individus, peut prendre deux aspects : soit celui d'une projection dans un chronos porteuse d'espoir, (et elle sera donc heureuse), soit au contraire, une projection bien sombre, synonyme de douleur et de misère, brisant d'un souffle certains aspects essentiels de son ancienne respectabilité. Dans pareil cas, et pour tout dire, cette représentation peut conduire le sujet (et le sujet social), à la catastrophe et à la mort. Je crois que nous en sommes désormais dans ce chronos en Grèce, non pas d'Héraclite mais de la zone euro où «la douleur emplit tout l'horizon», comme l'aurait sans doute écrit Alphonse Daudet. 


En ce sens, la perspective du chronos opportun qui s'est ouverte au printemps dernier (mouvement de protestation, Indignés, grèves), s'est fermée le 17 juin dernier. Nous sommes peut-être en phase de reprendre le chemin du prochain temps opportun, mais pour l'instant nous en ignorons les contours. En ce sens toujours, la réponse à la question posée par le quotidien Avgi il y a quelques jours : « Syriza : Avons-nous gagné ou avons-nous perdu camarades ?», serait sans équivoque, «nous avons perdu», car dire que Syriza est devancé de deux points seulement par Samaras et les deux autres Seigneurs Sith de la coalition gouvernementale tripartite, équivaudrait à dire, que l'Armée allemande était à deux doigts de l'emporter à Stalingrad, que les Soviétiques ont finalement gagné la bataille de justesse. Sauf que le sens de l'histoire et du chronos suivant, se sont concrétisés par cette justesse. Donc on verra peut-être avec le recul, ce que les historiens en concluront de notre 17 juin 2012, pour la Grèce et aussi pour l'Europe. 


En attendant, on comptabilisera les suicides, les baignades et les actes de résistance comme on dit désormais, comme durant ces derniers jours, pour ce qui tient du mouvement naissant «je ne peux pas payer mes impôts», assez populaire en dépit de son étouffement médiatique. Et il ne s'agit pas d'infatigables petits, moyens et grands tricheurs ; cette ethnie est toujours parmi nous (dont en parallèle des chefs mondialement tribaux et chamanes sont des lobbystes à Bruxelles par exemple); non ici il est question de ces centaines de milliers d'administrés qui ne peuvent plus faire face à l'hyper-imposition de cette année, chômeurs, ex-petits patrons en faillite, salariés non payés et retraités modestes, toutes ces «bouches inutiles» en somme. Ce vendredi midi, les bâtiments de la Municipalité à Trikala sont occupés par les agents en signe de protestation, leurs salaires n'ont pas été versés. 


L'histoire ne se répètera pas, la Troïka par contre, si : «il faut accélérer les reformes» martèle-t-elle. Par un miracle assez étrange, et selon une partie de la presse économique grecque, la Banque de France serait en train de restituer à la Grèce 754 millions d'euros, intérêts que la Banque de France aurait réalisé sur les titres de la dette grecque qu'elle détenait (selon les derniers accords sur l'aide destinée à la Grèce il faudrait en restituer une partie). Cette somme figurerait déjà aux inscriptions du nouveau budget de la France, rendu publique récemment. Une vraie nouvelle ? Une bonne nouvelle ? Et d'abord pour qui ? Mystère, en tout cas pour les non-initiés. 


Un autre petit miracle tout aussi étrange, tient de la diffusion par la chaîne publique NET, mercredi soir 4 juillet, d'un documentaire sur la période, allant de la fin de la dictature des Colonels en 1974 jusqu'aux premières années PASOK (Andréas Papandréou est arrivé au pouvoir en 1981). Un résumé assez juste des luttes populaires et particulièrement de celles de la gauche grecque. Un autre chronos donc se situant dans une certaine altérité, y compris par les expression des corps et des visages et par conséquence, du corps social de l'époque. Par contre, j'ai des doutes sur le message subliminal d'un tel documentaire en ce moment. 


VIOLENCE ET SOLIDARITÉ ORDINAIRES

J'ai quitté le village pour l'Attique. De passage par Salamine, j'ai encore contemplé des bateaux et la (presque) pleine lune. De passage par la Grèce centrale côtière, j'ai constaté que certains s'adonnaient à la baignade, en petit nombre pourtant, à Skala Atalantis par exemple. Au village, déjà loin, certaines rumeurs et ragots de la crise, meublent parfois des silences gênants. On raconte par exemple qu'un des deux suicidés du coin, aurait pu être assassiné par sa compagne : «Elle l'a fait assassiner pour lui voler ses économies. Comme cet homme n'avait plus de parents proches en vie et que son entreprise n'allait plus très bien, elle a voulu le supprimer pour ainsi s'assurer un avenir, avant que tout ne périclite. Elle devait préparer son plan depuis le début du Mémorandum déjà. C'est maintenant accompli, elle a touché une certaine somme importante depuis le décès, c'est clair. Plus personne ne veut fouiller cette affaire, il est mort et il est mort déjà à cause de la crise et par le biais d'une femme, mais les femmes ont toujours été redoutables de tout temps», croit savoir un vieux villageois, un homme évidemment. 


Entre les stéréotypes, la violence sous-jacente ainsi dotée de significations et de valeurs variables, puis le spectre-réceptacle de la crise produisant ses effets, il y a de quoi rédiger dix romans ! (D'ailleurs, j'ai en déjà écrit un en grec, et inédit, à mes heures de chômeur éveillé de l'année 2011). De toute manière, les petits coins tranquilles cela n'a jamais existé, ni pour les ethnologues, ni tout court, sauf pour les naïfs peut-être. Dans les années 1930, les meurtres dans ce village étaient monnaie courante, «signalant l'honneur ou l'infamie, la force admirable ou la brutalité bestiale», comme l'aurait rappelé l'anthropologue Margarita Xanthakou. 


Et pour ce qui est de notre village thessalien, la Guerre de 1940 et la Guerre Civile (elle a pris fin en 1949), ont finalement «englob黫normalisé» et «de-contextualisé» (sous certaines apparences), une violence affectant une vieille culture. Ensuite, et à partir des années 1950, les meurtres ont cessé, et on se disait que c'était terminé pour toujours. Mais le nouveau chronomètre des temps de crise serait en train de remuer les imaginaires et finalement les conduites et dans un désordre assez nouveau. Ainsi, par une nouvelle solidarité entre villageois, on offre des œufs par exemple et des tomates à des voisins en cas de nécessité, mais sans trop le dire à tout le lignage non plus, c'est honteux. 


Par conséquent, l'ethnographie de la crise s'annonce aussi passionnante après, qu'avant le 17 juin. Espérons qu'elle ne se fera pas non plus post mortem, et que notre société lui survivra. Nous ne sommes certes pas ces valeureux Dogons de jadis et de toujours, mais nous mériterons tout de même nos parentés à nos administrateurs coloniaux Troïkans, et nos hôpitaux toujours en colère (comme le personnel de Sismanoglio à Athènes en ce moment), protestant contre l'état de faillite dans laquelle leur établissement est plongé. Île de Salamine, très calme pour un mois de juillet. Fanis, l'Albanais qu'y habite, se montre toujours philosophe à propos de la crise : «Elle peut s'aggraver, mais on fera avec, on deviendra plus graves alors nous aussi à notre tour, sinon, que faire d'autre ? Nous sommes tous plongés dans la même marmite...»

Panagioris Grigoriou



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