5/2/17

Entretien, Fabrice Balanche, chercheur, à propos du dossier syrien : « Les Occidentaux clairement en retrait »

Dr. Fabrice Balanche
«Il existe tant de conflits dans le monde où les résolutions de l’ONU sont bafouées, où il faut déployer des Casques bleus pour séparer les belligérants, mais pouvoir résoudre des crises, vieilles pour certaines de plusieurs décennies, que la gouvernance onusienne commence à montrer ses limites d’efficacité. L’ONU demeure importante pour l’aide humanitaire en Syrie, sans elle la situation sociale et politique serait sans doute pire.»
Dans cet entretien, le géographe et spécialiste de la Syrie maître de conférences à l’Université Lyon 2, Fabrice Balanche, livre son analyse sur les dernières évolutions dans le dossier syrien. Selon lui, «la réunion d’Astana a prouvé que la résolution de la crise syrienne pouvait se passer de l’ONU. Un accord sur la Syrie désormais peut être trouvé entre les parrains des différentes factions rebelles et du gouvernement syrien. Ce sera une première au niveau diplomatique».

La Russie, l’Iran et la Turquie ont organisé les 23 et 24 janvier à Astana une rencontre réunissant pour la première fois depuis le début du conflit syrien des représentants du régime et des combattants rebelles. Est-ce à dire que les Occidentaux, présents en tant qu’observateurs, sont en train de perdre la main sur le dossier syrien ?

Les Occidentaux sont clairement en retrait sur le dossier syrien. L’alliance de la Turquie avec l’Iran et la Russie leur a porté un coup fatal. Mais il fallait s’y attendre avec la série de défaites de la rébellion et le soutien inconditionnel des Etats-Unis aux Kurdes qui ne manquerait pas de provoquer un problème majeur avec la Turquie. Les Occidentaux ont depuis le début de la crise sous-estimé la capacité de résistance du régime syrien et la volonté de ses soutiens internationaux. Ils pensaient que Bachar el Assad allait tomber comme Moubarak ou Ben Ali. Il n’en fut rien. Ils ont joué les mauvais chevaux, dont certains groupes rebelles qui ont fini par se retourner contre eux. Ils n’ont plus guère de leviers sur le terrain. L’Arabie saoudite conserve de l’influence parmi les rebelles, mais elle va finir elle-aussi par renoncer à changer le régime en Syrie.

L’annonce par le chef de la diplomatie russe du report de la date de la reprise des négociations de Genève sur la Syrie, fixée initialement au 8 février, ne vient-elle pas renforcer cette interrogation ?
La réunion d’Astana fut rapide : deux jours, et tenue dans les délais impartis par la Russie. Les factions rebelles invitées à Astana ne se sont pas trop fait attendre car elles ont pu constater que la Russie avait la main lourde avec les retardataires, c’est-à-dire que les absents seront considérés comme Fatah el Sham, la branche syrienne d’Al-Qaïda, et traités en conséquence. Par contraste les réunions de Genève sont interminables. Elles s’étendent pendant des semaines, avec de longues interruptions. Les protagonistes se font désirer, ensuite ils arrivent en ordre dispersés et enfin renâclent à se trouver dans la même pièce que leurs adversaires. Cela commence à exaspérer les organisateurs qui ont récemment signifié à la Coalition nationale syrienne qu’ils choisiraient eux-mêmes les représentants de l’opposition syrienne si elle n’arrivait pas à le faire.
Les représentants de l’opposition syrienne n’ont de toute façon aucune influence sur le terrain. Ils vivent à l’étranger, la plupart depuis des décennies et mènent un combat virtuel. Ce n’est pas avec eux que la délégation du gouvernement syrien peut trouver un accord. De toute façon, si accord il y avait, il ne serait pas appliqué sur le terrain.

Quel rôle désormais pour l’ONU ?
La réunion d’Astana a prouvé que la résolution de la crise syrienne pouvait se passer de l’ONU. Un accord sur la Syrie désormais peut être trouvé entre les parrains des différentes factions rebelles et du gouvernement syrien. Cela sera une première au niveau diplomatique. Il existe tant de conflit dans le monde où les résolutions de l’ONU sont bafouées, où il faut déployés des Casques bleus pour séparer les belligérants mais pouvoir résoudre des crises, vieilles pour certaines de plusieurs décennies, que la gouvernance onusienne commence à montrer ses limites d’efficacité. L’ONU demeure importante pour l’aide humanitaire en Syrie, sans elle la situation sociale et politique serait sans doute pire.
Moscou, Téhéran et Ankara donnent à penser qu’ils ont pris de facto en main le destin de la Syrie. Ils ont obtenu, fin 2016, un cessez-le-feu entre l'armée syrienne et les groupes rebelles, la réunion d’Astana s’en est suivie et enfin la Russie vient de remettre à l'opposition syrienne son projet de Constitution dans le cadre des négociations d’Astana. Est-ce selon vous de bon augure pour l’avenir ?
De bon augure ? Pour la paix en Syrie, mais je ne vois pas la paix se profiler en 2017. La situation militaire n’est pas encore propice, selon la Russie, à un véritable cessez-le-feu. Tant que les rebelles de la province d’Idleb ne seront pas vaincus, il ne pourra y avoir de réconciliation avec le régime. Par ailleurs, au Moyen-Orient nous ne sommes jamais à l’abri de surprises. On croit que le processus de paix est en bonne voie et puis un assassinat, une provocation militaire ou terroriste, une volte-face géopolitique, etc., remet tout en question.
Le projet russe de constitution est unanimement rejeté. Ni l’opposition ni le gouvernement de Bachar el Assad n’acceptent de voir supprimer la référence « arabe » et l’autonomie « culturelle » des Kurdes, les deux étant liés. Les Kurdes eux-mêmes ne sont pas satisfaits de ce projet, car il ne va pas assez loin à leur égard. Mais ils reconnaissent que cela permet d’ouvrir le débat en Syrie sur l’arabité et le pluralisme culturel.

La délégation de l’opposition syrienne à Astana était conduite par des représentants d’une série de groupes armés. Est-ce au final la clé pour progresser dans les négociations et parvenir à un règlement définitif du conflit ?
Nous ne sortirons de la guerre que grâce à un accord entre les groupes armés et Bachar el Assad. Mais ce dernier étant en position de force, il ne faut pas s’attendre à une paix des braves. Bachar el-Assad veut la soumission des rebelles en échange de l’amnistie et d’une éventuelle cooptation dans son système de pouvoir. Cette solution risque de prendre du temps.

Une évolution est constatée dans la position de l’opposition. Quels sont les éléments qui expliquent cette disponibilité à négocier ?
L’opposition militaire est sonnée par la défaite à Alep et divers déconvenues sur d’autres fronts, comme à Damas où l’armée syrienne reprend le contrôle des périphéries méthodiquement. Sur le plan diplomatique, le rapprochement entre la Turquie et la Russie est un rude coup pour les rebelles. Dans le nord du pays, ils se voient privés de soutien logistique. Dans le Sud, le front est gelé depuis l’intervention russe, en septembre 2015, car la Jordanie ne veut pas voir déferler des centaines de milliers de réfugiés syriens supplémentaires sur son territoire. Elle craint d’être déstabilisée par la prolifération des groupes jihadistes à ses frontières et qui peuvent recruter parmi les réfugiés syriens. L’Europe vit désormais sous la crainte d’une nouvelle vague de réfugiés syriens poussée par Erdogan qui déchirerait ses accords avec Bruxelles. Là encore, c’est la stabilité de la Syrie qui est recherchée et non plus le changement de régime. Enfin, l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis a douché les espoirs de l’Arabie saoudite et autres monarchies du Golfe d’obtenir un regain de soutien sur le dossier syrien.
Dans ces conditions les rebelles savent qu’ils seront bientôt livrés à eux-mêmes face au rouleur compresseur russe. Certaines factions, comme Fatah el-Sham (la branche syrienne d’Al-Qaïda), prônent une lutte à mort contre le régime, mais d’autres ont compris qu’il était préférable pour eux de négocier. L’opposition politique syrienne, à travers la Coalition Nationale Syrienne, est sur un registre plus radical. Ces membres ne vivent pas en Syrie mais confortablement à l’étranger. Mais au final, ils se plieront à la volonté de leurs bailleurs de fonds.

Moscou signe, en cas de succès dans sa médiation dans le conflit syrien, un triomphe diplomatique aux retombées géostratégiques. Êtes-vous de cet avis ?
Oui, c’est un immense succès pour Moscou. Il a rétabli Bachar el Assad qui était dans une situation critique au printemps 2015. Désormais, Poutine est capable d’organiser une conférence sur la Syrie, indépendamment de l’ONU et des Etats-Unis, à Astana avec des acteurs militaires que jamais Genève n’a pu attirer.
La Russie signe son grand retour sur la scène internationale. Tous les dirigeants de la région se précipitent à Moscou pour discuter du sort du Moyen-Orient avec Poutine. Le premier fut le Premier ministre israélien à l’automne 2015, suivi du roi de Jordanie, qui était de nouveau à Moscou en janvier dernier. Les alliés traditionnels des Etats-Unis savent qu’il faut compter avec la Russie aujourd’hui : son Hard Power est respecté.

Après la Syrie, la Russie s’implique dans le conflit libyen. Moscou apporte son soutien au maréchal Haftar. Quelle lecture vous suggère cette implication directe dans un dossier où la Russie semblait être en retrait ?
Après son succès en Syrie, la Russie revient en Libye, un ancien allié stratégique de l’Union Soviétique à l’époque de Khadafi. En apportant son soutien militaire et diplomatique à Haftar, elle peut le conduire à la victoire et en faire un allié. Les Occidentaux après avoir fait tomber Khadafi sont incapable de stabiliser le pays. La Russie occupe tout simplement le vide géopolitique. Mais c’est une belle revanche pour Vladimir Poutine par rapport à 2011. Il faut rappeler que l’abstention russe au Conseil de sécurité a permis l’intervention militaire occidentale en Libye et le changement de régime, alors que la résolution 1789 n’avait pour but que la protection des civils de Benghazi. Vladimir Poutine s’est senti floué à l’époque et il a ensuite bloqué toute résolution du Conseil de sécurité sur la Syrie.

Entretien réalisé par
Nadia Kerraz

http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/104873

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